Septembre/octobre 2004

"Ecrire en Mer

 




Henri de Monfreid
à la bibliothèque de Marseille


Présentation par Guillaume de Monfreid


Qui, plus qu’Henry de Monfreid, a écrit en mer, pour la mer, et avec la mer pour toute encre ? Ses premières aventures maritimes, il les a transcrites au jour le jour à l’encre bleue dans un journal de bord, y compris dans la tempête - son écriture ondule alors sur le papier comme son boutre roule et tangue au rythme des vagues. Il y a là comme un signe du destin : ces nombreuses pages seront quelques années plus tard , et sur le conseil de Joseph Kessel, le fondement de nombreux livres, une petite bibliothèque de plus de soixante dix ouvrages. Sous ses doigts la mer a fait couler beaucoup d’encre : Les secrets de mer Rouge, La croisière du hachich, Aventures de mer, l’Homme sorti de la mer, Abdi l’homme à la main coupée…


Au début, rien ne l’avait préparé à cette vie étonnante et originale, faite d'action totale sous un soleil de feu. Il aspirait même, bien que révolté de nature, à devenir un bourgeois riche et respecté. La vie en décida autrement.

A trente deux ans, à peine convalescent, il quitta Marseille et l’Europe un jour d’août 1911 (il écrit 1910, peut-être par coquetterie d’écrivain) pour la Corne de l’Afrique, rejoindre un hypothétique emploi de commis d’agence dans un lointain comptoir abyssin. La mer était le passage obligé pour y arriver. Il découvrit les bleus et les verts de cette eau, la mer Rouge, et, subjugué, en devint l’amant. Aucune femme ne pût l’en séparer ! Il s’installa à Djibouti, puis à Obock juste en face, acheta un boutre, et pour vivre comme tout le monde dans ce pays, se mit au commerce lucratif et bien organisé par la colonie, des fusils Gras, armes réformées en Europe. Il fit la pêche des perles précieuses avec autant d’énergie que le commerce du hachich en contournant le contrôle des Anglais… On l’appela Abd-el-Haï, l’Esclave du Vivant. D’autres le disent “Sea wolf”, le loup des mers. Ses matelots, Abdi en tête lui étaient dévoués corps et âme. Il eut de nombreux bateaux, des boutres gréés en goélette ou en cotre pour mieux naviguer et plus vite. On se souvient du Fath-el-Rahman, du Sahala, de l’Altaïr, du Moustérieh. Il était craint et admiré.

Connues dans tous les ports ses audaces sont autant de légendes. Elles sont si incroyables, que, vraies, il faillit souvent y laisser sa peau. Il a fait tous les métiers à fond, même les plus ingrats, en payant de sa personne. En matière d'aventure il est la référence incontestée. Cela ne l’empêcha pourtant pas d’être en même temps un artiste multiforme : écrivain, certes, mais aussi aquarelliste (on ne compte pas ses œuvres) et photographe. Vu ses activités, personne ne lui accordait une longue destinée. Après avoir vécu plusieurs vies en une seule (certains parlent de cinq, d’autres disent : sept !), il mourut à 96 ans, un matin d’hiver 1974, sec comme un bâton et vif comme l'éclair, ne cessant jamais de peindre, d'écrire ou de raconter.


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