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Présentation
par Guillaume de Monfreid
Qui, plus qu’Henry
de Monfreid, a écrit en mer, pour la mer, et avec
la mer pour toute encre ? Ses premières aventures
maritimes, il les a transcrites au jour le jour à l’encre
bleue dans un journal de bord, y compris dans la tempête
- son écriture ondule alors sur le papier comme son
boutre roule et tangue au rythme des vagues. Il y a là comme
un signe du destin : ces nombreuses pages seront quelques
années plus tard , et sur le conseil de Joseph Kessel,
le fondement de nombreux livres, une petite bibliothèque
de plus de soixante dix ouvrages. Sous ses doigts la mer
a fait couler beaucoup d’encre : Les secrets de mer
Rouge, La croisière du hachich, Aventures de mer,
l’Homme sorti de la mer, Abdi l’homme à la
main coupée…
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Au début, rien ne l’avait préparé à cette vie étonnante
et originale, faite d'action totale sous un soleil de feu. Il aspirait même,
bien que révolté de nature, à devenir un bourgeois riche
et respecté. La vie en décida autrement.
A trente deux
ans, à peine convalescent, il quitta Marseille et
l’Europe un jour d’août 1911 (il écrit
1910, peut-être par coquetterie d’écrivain)
pour la Corne de l’Afrique, rejoindre un hypothétique
emploi de commis d’agence dans un lointain comptoir
abyssin. La mer était le passage obligé pour
y arriver. Il découvrit les bleus et les verts de
cette eau, la mer Rouge, et, subjugué, en devint l’amant.
Aucune femme ne pût l’en séparer ! Il
s’installa à Djibouti, puis à Obock juste
en face, acheta un boutre, et pour vivre comme tout le monde
dans ce pays, se mit au commerce lucratif et bien organisé par
la colonie, des fusils Gras, armes réformées
en Europe. Il fit la pêche des perles précieuses
avec autant d’énergie que le commerce du hachich
en contournant le contrôle des Anglais… On l’appela
Abd-el-Haï, l’Esclave du Vivant. D’autres
le disent “Sea wolf”, le loup des mers. Ses matelots,
Abdi en tête lui étaient dévoués
corps et âme. Il eut de nombreux bateaux, des boutres
gréés en goélette ou en cotre pour mieux
naviguer et plus vite. On se souvient du Fath-el-Rahman,
du Sahala, de l’Altaïr, du Moustérieh.
Il était craint et admiré.
Connues dans tous les ports ses audaces
sont autant de légendes. Elles sont si incroyables,
que, vraies, il faillit souvent y laisser sa peau. Il a fait
tous les métiers à fond, même les plus
ingrats, en payant de sa personne. En matière d'aventure
il est la référence incontestée. Cela
ne l’empêcha pourtant pas d’être
en même temps un artiste multiforme : écrivain,
certes, mais aussi aquarelliste (on ne compte pas ses œuvres)
et photographe. Vu ses activités, personne ne lui
accordait une longue destinée. Après avoir
vécu plusieurs vies en une seule (certains parlent
de cinq, d’autres disent : sept !), il mourut à 96
ans, un matin d’hiver 1974, sec comme un bâton
et vif comme l'éclair, ne cessant jamais de peindre,
d'écrire ou de raconter.
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